Jusqu’au bout du monde, western contemplatif et silencieux, a le culot d’évoquer autant le cinéma de Kelly Reichardt qu’un roman Harlequin. La mélancolie y épouse les traits émaciés de Viggo Mortensen, desdichado condamné à recréer et compenser un souvenir traumatique. Le néo-classicisme américain a rarement été plus chargé de sens même dans ses faiblesses.

Jusqu’au bout du monde critique

The Dead don’t hurt : sous forme de maxime, le titre original du deuxième film de Viggo Mortensen laisse planer une hésitation sémantique. On peut considérer d’une part que les morts ne souffrent plus. Cela, a priori, n’étonnera personne. On peut penser d’autre part qu’ils ne font plus souffrir. Au vu de la place incommode qu’ils occupent dans la psyché des vivants, cette seconde interprétation est plus difficile à maintenir. La maxime se transforme dans ce cas en paradoxe, et donne au film le pouvoir ou du moins l’ambition de conjurer le poids du souvenir. Dans Falling (2015), premier long-métrage centré sur une relation conflictuelle entre un père et son fils, Viggo Mortensen dialoguait déjà avec ses propres fantômes. Jusqu’au bout du monde est dédié à la mémoire de sa mère, Grace Gamble Atkinson, décédée en 2015. 

« Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage »

Le lien entre la biographie du cinéaste et ce second film semble plus ténu que dans Falling, même si le héros est lui aussi d’origine danoise. Jusqu’au bout du monde se déroule dans l’Ouest américain au moment de la guerre de Sécession. Il ne s’agit en aucun cas d’une évocation de l’existence de la mère de Viggo Mortensen, née en 1928. Toutefois, le film débute par l’enterrement d’une mère. Holger Olsen, joué par le cinéaste, creuse la tombe de sa compagne Vivienne (Vicky Krieps) devant leur maison de bois, sous les yeux de leur enfant. Peu après, il quitte la région à cheval, son fils dans les bras. Généralement, le rite de l’enterrement ponctue ou clôt les westerns, par exemple chez Anthony Mann. Dans le dern...